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Projet émaux sur cuivre - La crucifixion

Par Guilhemot le 2 Janvier 2017

Le point de départ de ce projet, c’est la publication dans le numéro 103 de moyen âge magazine de la photo d’une plaque en émail champlevé représentant la crucifixion. Cette plaque datée de 1200-1210 vient d’être vendue aux enchères chez Sotheby’s en Juin. La notice précise qu’il s’agit d’un cuivre champlevé, gravé, ciselé et doré de forme carrée. Cette plaque provient vraisemblablement d’une porte de tabernacle et inclus des éléments d’applique en bronze doré ; le Christ, les têtes de la vierge, de Saint Jean et des anges.

Cette plaque me fait de l’œil et je me dis bien vite qu’elle serait du plus bel effet en exposition sur notre campement. Comme les autres pièces du tabernacle ne sont pas disponibles, je prends le parti de l’utiliser comme plat de reliure sur un des superbes grimoires que je viens de découvrir sur Internet à « l’atelier du grimoire »…

Ceci étant, je m’emballe un petit peu. Les émaux sur cuivre, je maîtrise la technique mais je n’ai jamais réalisé de pièce de cette taille (18 x 16.5cm), pas plus que du champlevé d’ailleurs… Pour les bronzes, je viens juste de m’équiper et je ne suis encore qu’un débutant mal dégrossi qui apprend laborieusement de ses (nombreuses..) erreurs. Quant à la dorure à l’or fin, je n’ai pas la moindre idée de la manière de la réaliser.  Bref, ce n’est pas gagné…

Après de longues recherches sur les techniques nécessaires, les travaux débutent réellement pendant les vacances de Noël 2015.

La première étape consiste à préparer la plaque de cuivre. Comme je ne maîtrise pas (mais alors pas du tout et mes essais me montrent que c’est une cause désespérée…) la gravure et le ciselage, je me décide pour une technique de gravure à l’eau forte. La technique est finalement assez accessible. La plaque de cuivre est entièrement recouverte d’un vernis à graver de chez Charbonnel, et le dessin est reporté dessus une fois le vernis bien sec. Ceux qui suivent auront bien compris que toutes les zones à graver pour recevoir les émaux doivent être parfaitement nettoyées de vernis. Pas très compliqué, le vernis part bien avec un cure-dent mais c’est là qu’on se dit qu’on aurait dû partir sur une pièce…un peu plus petite…

Après avoir épuisé tous les cure-dents de la maison, vient le grand moment de la gravure. L’eau forte. Au-delà de l’image un peu mystérieuse et alchimique qui vient à l’esprit du novice, on ne parle finalement que de perchlorure de fer couramment utilisé pour la gravure des circuits imprimés électroniques. Comme on est tout de même au XXIème siècle… je me suis procuré une graveuse à circuit imprimé chez Selectronic. http://www.selectronic.fr/graveuse-verticale.html

Et la magie opère. Au bout de 1h45 de bain à bulles… j’obtiens une très jolie plaque de cuivre gravée. Quelques coups de ciseau plus tard (je vous laisse imaginer la notion de "quelques" vu ma grande dextérité avec cet outil du diable…) j’obtiens enfin la plaque prête à émailler.

Moins d’inconnu pour la seconde étape. Les émaux sur cuivre, je maîtrise… Sauf que là, c’est beaucoup plus compliqué que d’habitude… D’abord, la plaque est de grande taille et je suis parti sur du 1mm. Du coup avec la gravure, elle a comme une tendance naturelle à se gondoler dans tous les sens. Ça, ce n’était pas prévu…

Du coup, je décide de préparer la plaque en rajoutant une couche d’émaillage et de contre émaillage à base de fondant. C’est un peu compliqué car je voudrais éviter de recouvrir de fondant les zones devant rester sans émail. Après saupoudrage du fondant, il s’agit de nettoyer délicatement ces zones au pinceau, tout en évitant de faire tomber le contre émaillage qui tient tant bien que mal collé sous la plaque. Gros moment de stress, on passe au four et…c’est réussi.

Je me retrouve avec une plaque parfaitement contre-émaillée et avec une petite couche de fondant dans les alvéoles à émailler. A partir de là, c’est beaucoup plus facile. Les alvéoles sont progressivement remplies d’émail de couleur en remplissant généreusement de manière à ne pas avoir à recharger après une première cuisson, quand l’émail aura fondu et de sera tassé au fond des alvéoles. Je procède en plusieurs passages en commençant par les émaux les plus durs.

Avec le recul, ce n’est pas franchement une bonne idée car certaines zones (le bleu clair et le blanc) ont un peu souffert des cuissons successives. Au final, il me semble que les émaux Soyer sont suffisamment souples pour être tous cuits en une seule cuisson à 800-820°C. Une fois l’émaillage terminé, vient la phase de ponçage à la pierre d’adamentum pour homogénéiser la surface, une légère cuisson de finition pour faire briller tour ça et on obtient le résultat final.

La troisième phase c’est la dorure à l’or fin. C’est amusant de voir comment les livres traitant de l’émail champlevé vous expliquent qu’il faut le faire faire chez un spécialiste. Sauf qu’il faudrait déjà pouvoir en trouver un dans la région… Jules m’a bien proposé de nous regrouper pour envoyer plusieurs pièces chez un doreur près de Carcassonne mais je ne suis pas très emballé à l’idée d’expédier la plaque par la malle poste. Et puis, il faudrait recommencer l’opération pour les bronzes.

Après quelques recherches sur d’éventuelles méthodes alternatives (j’ai vite éliminé la dorure historique au mercure car je ne voudrais quand même pas mourir trop jeune…) je tombe sur le site « spa plating » fournissant le matériel pour de la dorure électrolytique au tampon. http://www.goldn.co.uk/francais  

Comme j’ai déjà un générateur, (souvenir de mes pathétiques essais de gravure électrolytique…) le coût du matériel à acquérir reste très raisonnable. J’avoue avoir été vraiment surpris par l’excellent résultat obtenu avec un minimum d’efforts. Certes l’épaisseur de la couche de dorure ne doit pas être bien grande mais pour des pièces qui ne seront soumises à aucun frottement, ce système est tout à fait satisfaisant.

Après une très longue pause estivale, je m’attèle à la quatrième et dernière phase du projet, qui consiste à rajouter les pièces d’applique en bronze doré. Pour commencer, il faut un modèle. Et oui… C’est parti pour une bonne séance de sculpture qui va s’étaler sur plus d’un mois. La FIMO, c’est rigolo… ouais mais à faible dose quand même… Mon passé de figuriniste m’a bien servi et je suis assez satisfait du résultat même si la tête de Saint Jean ressemble plus à Jim Carrey dans « The mask » qu’à l’original XIIIème siècle. 

Maintenant on se réveille pour la suite… A partir des originaux, je réalise des moules en silicone pour pouvoir tirer autant de cires que nécessaire. On ne sait jamais, il peut arriver que la fusion du bronze ne se passe pas toujours comme prévu… A partir de ces moules en silicone, je tire trois modèles de Christ et trois séries de têtes en cire.

L’étape suivante consiste à préparer les moules céramique par accumulation de couches réfractaires successives, comme parfaitement expliqué dans mon livre de chevet ; « De la cire au bronze » par Olivier O. Duhamel.

Excellent résultat, le premier moule contient le plus réussi des modèles de Christ et le second, deux séries de têtes pour être prévoyant… J’ai quelques doutes sur les pouces du Christ qui ne sont pas idéalement placés pour la fusion, mais on va la tenter comme ça quand même…

C’est les vacances de Noël 2016. L’étape suivante est le décirage. L’idée générale est de faire fondre rapidement la cire au chalumeau de manière à l’évacuer par le godet de coulée. Et là, c’est juste la catastrophe… Le moule n’a pas supporté l’opération et casse à la jonction du godet avec le trou de coulée. Arghhh… Je termine quand même le décirage en espérant pouvoir récupérer la partie haute du moule qui me semble très réussie. Donc là c’est … quand même un peu tendu car je n’ai pas du tout envie de recommencer tout le moule avec son assemblage complexe de trous de coulée secondaires. Donc je vais tenter une réparation de fortune…

J’ai préparé un nouveau système de coulée en cire (merci les moules en silicone…) que j’insère délicatement dans la partie intègre du moule. A partir de cet assemblage improbable je vais progressivement fabriquer une nouvelle partie basse de moule à grand renforts de bandes de plâtre pour solidifier l’ensemble.  Et ça fonctionne plutôt bien. Nouvelle opération de décirage, qui cette fois-ci se passe de manière tout à fait normale. Les moules sont cuits dans la cheminée et je dispose maintenant de deux moules prêts pour la coulée.

Pour le tirage, j’ai choisi un alliage de type bronze Grec à 70% de cuivre, 24% d’étain, 4% de plomb et 2% de zinc. Le résultat devrait être beaucoup plus blanc que mes tirages habituels mais ce n’est pas gênant dans la mesure où les pièces seront dorées à l’or fin par la suite. La forte proportion d’étain devrait bien améliorer la coulabilité, la présence de plomb va abaisser le point de fusion et n’est pas gênante car il n’y a pas de soudure prévue. C’est la première fois que j’utilise le zinc comme antioxydant, je sais qu’il faut le rajouter en toute fin de fusion car il a tendance à s’évaporer très rapidement en dégageant une fumée toxique plutôt désagréable.

Et nous voilà le 25 Décembre, jour de Noël. Pas de gueule de bois, le réveillon en famille s’est passé de manière très soft. Fondre un Christ le jour de Noël, je ne suis pas du tout inquiet car Deus vult… Et le Deus des fondeurs est bien avec moi ce jour-là, (du moins pour la première coulée) car sous mes yeux attendris, un Christ plutôt bien réussi émerge du moule que je casse délicatement.  Au bilan, le résultat est plutôt bon avec le pouce gauche qui ne sort pas complètement (et oui, je m’y attendais un peu) et un défaut sur le pied droit que je ne m’explique pas.

Par contre pour les têtes, le Deus des fondeurs doit être parti à la piscine car c’est complètement loupé. Je ne récupère au final que deux têtes et il faudra recommencer avec un nouveau moule deux jours plus tard…

Finalement, c’est le 31 Décembre que je parviens enfin à assembler l’ensemble sur le superbe grimoire, après une dernière séance de dorure à l’or fin. Avec une soixantaine d’heures de travail répartie sur l’année passée, pas mal d’erreurs et de reprises, j’espère que cette pièce trouvera sa place sur le campement des Qu’em Biarnés !

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